Allaitement maternel et développement durable

L’allaitement maternel : réflexions sur 20 ans d’expérience de pédiatrie 

Par Patrick de BOISSE (pédiatre) et Magali Marzini (diététicienne)

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L’allaitement maternel

L’allaitement maternel représente la façon la plus naturelle et simple pour que s’épanouisse un enfant dans son contexte familial.
Et pourtant ! Au delà de trois mois, seules 5 % des mères françaises allaitent encore leur bébé, contre 75 % dans les pays nordiques à 6 mois… ce qui correspond aux recommandations de l’OMS.
Les facteurs qui expliquent ce piètre taux d’allaitement sont nombreux et multiples : évolution de la société de consommation, nécessaire égalité entre hommes et femmes, reprise contrainte du travail 10 semaines après la naissance, non-culture intra-familiale de l’allaitement, absence d’information des futurs parents, discours contradictoires en maternité ou après, insuffisance de formation du personnel soignant, la méconnaissance sur l’actualisation des données physiologiques de l’allaitement, etc.
L’utilisation, depuis interdite car peu respectueuse pour les femmes, de l’expression « lait maternisé » pour les laits synthétiques, a achevé les générations 60 à 90 en pleine libération.
Le lait de vache aurait-il eut le même « succès » si le respect de cette brave bête pas si folle l’avait fait nommer logiquement « lait dévachisé » ?

Faire la promotion de l’allaitement maternel ne signifie pas, pour autant, lutter contre les aliments lactés diététiques pour nourrisson, qui ont remplacé le lait maternisé. Nous sommes bien contents de les proposer quand l’allaitement n’est pas désiré ou réellement impossible, ou encore en relais d’un allaitement, mais le plus tard possible bien sûr. Il faut cependant savoir que ces produits ne pourront jamais reproduire les acides aminés indispensables au développement du cerveau, ou les acides gras à très longues chaînes comme les oméga-3, utiles au fonctionnement oculaire, cérébral et aux tissus adipeux qui se forment surtout pendant les six premiers mois de la vie post-natale.

Le « VIDAL », bible médicale, cite autant de contre-indications à l’allaitement que de médicaments, la plupart sont plus que discutables, et les arrêts pour des raisons médicales pendant le premier mois d’allaitement, période la plus critique, sont finalement injustifiés. Nos amis gynécologues posent la question : « allaitement maternel ou artificiel ? » sans vraiment se préoccuper du père, pourtant responsable génétique dans tous les cas. Aussi, la recherche prénatale d’une intolérance aux protéines du lait de vache (IPLV) chez le père et la mère est exceptionnelle ; l’IPLV n’est à l’âge adulte, souvent traduite que par un simple dégoût du lait persistant. Le simple fait de dépister les parents porteurs d’intolérance devrait inciter à allaiter. De nombreuses indications à l’allaitement sont méconnues, dont le tabac, les malformations digestives urinaires ou autres, les retards de croissance de toutes causes, les prématurés…

Les avantages d’un allaitement maternel prolongé

Les avantages d’un allaitement prolongé (plus de 6 mois) sont connus du monde médical et publiés, en voici les principaux :

  • pas d’obésité jusqu’à 18 ans alors que le contexte actuel est terrifiant : en France, 5% d’adolescents étaient obèses en 1965 ; en 2005, ils sont 15 % !
  • pas d’allergie avant 10 ans ; moins d’intolérance au lait de vache (5 à 15 % de la population générale),
  • pour un bébé au sein, le quotient intellectuel augmente de 15 à 20 points s’il est né à terme et plus encore si il est né prématuré,
  • une meilleure psychomotricité, moins d’hospitalisations, moins de prescriptions d’antibiotiques, notamment depuis l’arrivée des derniers vaccins, ainsi l’allaitement optimise la prise en charge globale de l’enfant,
  • moins d’infections respiratoires ou digestives (même en crèche),
  • moins de mort subite,
  • un meilleur contact mère-enfant,
  • un moindre coût,
  • une meilleure récupération post natale pour la mère et aussi à très long terme pour les anciens prématurés ou hypotrophes avec une diminution de la morbidité à long terme,
  • moins de cancers du sein pour les femmes (10 % des Françaises ont un cancer du sein ) ou de l’ovaire pour une année d’allaitement (même en plusieurs fois).

Avant la naissance

L’expérience des consultations de pédiatrie pré ou post-natales montre que la plupart des mères ne connaissent pas tous ces avantages , c’est surtout vrai chez les primipares (c’est-à-dire pour une 1ère grossesse) ou les mamans jeunes (18 à 21 ans).
Par ailleurs, le tabou scolaire ou social est très lourd en France : aucune information n’est délivrée à l’école. Dans ces conditions, il y a peu de chance que la future maman allaite, surtout si elle n’a pas été allaitée par sa propre mère (on constate 80 % de récurrence). Pourquoi ne pas programmer des cours sur l’allaitement maternel et ses bienfaits en SVT par exemple ?
Quand on sait que 60 % des mères « choisissent » le mode d’alimentation de leur enfant avant leur première grossesse… sans aucune réelle information, on peut considérer que la sensibilisation dès l’adolescence peut être prépondérante.
Aussi la consultation prénatale pédiatrique est primordiale ; hélas méconnue des futurs parents, elle vient en complément des consultations de sage-femme au 4 ème mois, et sert aussi à préparer la parentalité.

L’accouchement et la mise au sein

Il est nécessaire de privilégier l’accouchement « respecté » en milieu médicalisé, sans excès. La présence du père est importante s’il le désire. Le « peau à peau » doit être privilégié : le nouveau-né est posé sur le ventre de sa maman, peau nue contre peau nue, avec un petit bonnet ; aucun soin n’est justifié si l’enfant ne présente pas de facteur de risque et a crié dès la naissance. Le regard du bébé sur sa mère et l’attirance par les phérormones mamelonnaires sont essentiels à la mise en route de l’allaitement. Le personnel du bloc doit effectuer une surveillance régulière de l’enfant, pendant 2 heures, pour accompagner cette mise au sein. De rares accidents ont été décrits, souvent dus à la non-prise en compte d’un facteur de risque (médicament maternel, anesthésique, risque infectieux…).

L’aspiration gastrique est discutable et mieux vaut passer une petite sonde dans l’estomac après la première tétée que de provoquer un malaise vagal au bébé. Les collyres qui agressent, les soins du cordon qui est propre, le bain qui refroidit le bébé peuvent être faits le lendemain.  Connaître le poids est-il si urgent, à part pour faire plaisir aux grands-mères ? Quant à la taille, sa mesure est fausse à la naissance ; elle pourra être prise à la sortie.

La vitamine K, indispensable, doit être donnée per-os (par voie buccale, non en injectable), mais cela peut attendre quelques heures. Ceci pour éviter les risques hémorragiques des nouveaux-nés. Le colostrum se met en place dans les deux ou trois premiers jours qui suivent la naissance, d’autant plus et mieux que l’enfant sera en permanence avec sa maman, même en cas de soins. Son rôle anti-infectieux pour le bébé est majeur. En 48 heures, la flore digestive sera très différente de celle d’un bébé au biberon ; son rôle est notable aussi localement pour la maman, car il évite les crevasses aux mamelons.

L’allaitement à la demande est à encourager; mais cela ne veut pas dire à chaque fois que bébé pleure, au contraire des moments de grande vigilance calme de l’enfant est souvent propice. Il faut privilégier les moments calmes ou le nouveau-né est éveillé et fixe sa maman.

Concernant la mise au sein, pour une bonne succion, il faut absolument éviter que l’enfant suce le bout du mamelon, il doit prendre toute l’aréole dans sa bouche. Il est inutile de chronométrer le temps passé sur tel ou tel sein… Quand on aime… De la même manière, il n’est pas nécessaire de respecter des intervalles de temps réguliers entre chaque tétée… Il y a souvent dix à douze tétées les deux premiers jours. Après la montée de lait, le bébé se retrouve avec six ou huit tétées, plus ou moins.

La montée de lait et les suites de l’allaitement

Il est impératif de laisser se mettre en place la relation personnelle mère-enfant ; faire « nature et découverte ». La montée de lait se fera souvent la nuit, maman seule, lors de la baisse physiologique du cortisol maternel ; l’enfant pleure, car il ressent une modification comportementale de sa mère. Pour éviter les engorgements, il ne faut pas hésiter à plus mettre le bébé au sein, et ne pas trop boire car, à ce stade, les femmes sont souvent « pleines d’eau ».

Pour un bébé au sein, la courbe de poids a peu d’intérêt ; les pesées « avant-après » sont anxiogènes, donc à proscrire ! Les intrus aussi, tels que sucettes, biberons de compléments ou balance…
Le biberon de complément est théoriquement à proscrire, mais, s’il est bien indiqué et rare, il peut se révéler utile transitoirement.
Les coussinets font macérer le lait et favorisent les mycoses ou les crevasses, les coques mal utilisées, qui compriment les seins, gênent l’évacuation mamelonaire. Bien adaptées, elles sont quand même pratiques ! Un bon soutien-gorge, adapté à la taille des seins, est important !

Le tire-lait dès la maternité peut s’avérer très utile à condition de ne pas utiliser n’importe quoi… Il y a autant de tire-lait que de voitures !
Il permettra au père de nourrir à son tour son bébé, et aux deux parents de gérer ensemble l’allaitement. Le lait récolté pourra être conservé au réfrigérateur pendant 3 jour, ou stocké au congélateur jusqu’à 3 mois. La maman pourra ainsi retrouver une certaine liberté. Vous pouvez aussi participer à des réunions sur l’allaitement

Aucun médicament habituellement donné en maternité ne peut contre-indiquer un allaitement (antibiotiques, anti-inflammatoires, antihypertenseurs, bêtabloquants, etc.).
Quoi qu’il en soit, chaque cas doit être évalué individuellement. L’aspirine est à proscrire. Le Prosac, l’héroïne et en général les molécules de longues durée de vie chez l’enfant sont de rares contre-indications avec les patientes HIV+ en France. Des centres de références existent, plus efficaces que le « VIDAL »
L’abcès vrai du sein est rare et l’on peut voir des allaitements sur l’autre sein.

La maman tabagique doit être encouragée à positiver son addiction par l’allaitement, car la nicotine diminue la montée de lait et l’allaitement est un peu plus difficile à démarrer chez ces mamans.
Il faut éviter de fumer en allaitant, et attendre la fin de la tétée si l’arrêt total du tabac est impossible ; cependant, tous les projets d’arrêts du tabac sont envisageables en allaitant. Consultez les numéros et sites web utiles pour aider à vous arrêter.

En cas de douleur (paroi de césarienne, périnée, sein..) la mère doit être traitée sans souci. En particulier il ne faut pas contre-indiquer les anti-inflammatoires pour les problèmes de périnée ou d’hémorroïdes fréquents après l’accouchement si le bébé est à terme.

L’allaitement sera souvent stable vers trois semaines à un mois. Il n’y a pas de « mauvais lait » et encore moins de « mauvaise mère ». Passé ce délai, la plupart des mamans apprécie cet allaitement qui pourra durer aussi longtemps que désiré.
La première pesée a quinze jours est suffisante (si le bébé est né à terme). Une prise de poids de 150 grammes par semaine peut suffire si l’enfant se comporte normalement. Les rares hypogallacties (insuffisance de montée de lait) peuvent être stimulées (par un traitement homéopathique, ou avec du Motilium)

Un enfant au sein ne souffre pas de diarrhée ni de constipation, même pendant huit jours sans selle, si les selles sont « normales » et l’enfant non ballonné. Vous pouvez néanmoins consultez les conseils des diététiciennes du CHU de Montpellier en cas de constipation

La pilule même mini dosée ne doit pas être reprise avant six semaines après l’accouchement.
La diversification alimentaire avant six mois est peu prudente car à risque allergique et fera diminuer la durée de l’allaitement.
Souvent vers quatre mois, les tétées se régulent à quatre ou cinq par jour, le sommeil est acquis la nuit si l’on n’a pas gêné sa mise en place, par une tétine inutile par exemple. La tétine va maintenir le réflexe de succion périnatale et déclenche des troubles du sommeil vers quatre / cinq mois : c’est l’âge ou l’enfant passe du stade « substance blanche sous-corticale » vers la « corticalisation grise » (« je jette ma sucette, comme ça, maman vient »). Il ne faut pas craindre le pouce ou le doigt et respecter le choix de son bébé.

Vers six mois, il faut se méfier des bébés qui réclament le sein toutes les nuits et cannibalisent leur mère ; il faut éviter aussi que la maman endorme son bébé au sein, se faisant prendre pour la tétine. À plus long terme, l’enfant, souvent un garçon, pourrait envahir le lit parental et gêner la vie de couple. Les sécheresses vaginales peuvent apparaître du fait de la prolactine et doivent être traitées par des gels.

Souvent la reprise du travail arrive trop tôt surtout pour les primipares, cela peut mettre à mal un allaitement bien installé ; pourtant au-delà de six mois, on peut travailler et allaiter avec une très bonne relation mère-enfant, par une maman qui a retrouvé son corps et repris sa vie en main.


Conclusion sur l’allaitement maternel

10360446_636188606460548_23893607485932493_nPour conclure, on peut dire que c’est par une véritable information sur les bienfaits de l’allaitement maternel, tant pour l’enfant que pour la mère, que l’on pourra inverser la donne actuelle.
Il est important de présenter tous les avantages liés à l’allaitement mais aussi de prévenir les mères que ce n’est pas si facile et qu’il est indispensable de s’y préparer avant l’arrivée de ce cher bambin.
Et plus c’est long…

Remerciements à Magali Marzini (diététicienne), par Patrick de BOISSE (pédiatre)


Quelques liens utiles sur l’allaitement :

  • Ministère de la santé : dossier allaitement. Vous pouvez aussi consulter le rapport de juin 2010 sur l’allaitement maternel : “Plan d’action – Allaitement maternel” par le Pr Dominique TURCK. Ce rapport analyse les conditions d’amélioration de la promotion de l’allaitement maternel en France : aussi bien son initiation que le prolongement de sa durée. Les propositions d’action résultent d’une analyse d’un groupe de travail réunissant des professionnels de santé.
  • HAS (Haute Autorité de Santé) : La HAS est une autorité publique indépendante qui contribue à la régulation du système de santé par la qualité. Elle exerce ses missions dans les champs de l’évaluation des produits de santé, des pratiques professionnelles, de l’organisation des soins et de la santé publique. Vous pouvez aussi le rapport en PDF de la HAS sur l’Allaitement maternel (Mai 2002).
  • COFAM (Coordination Française pour l’Allaitement Maternel). La COFAM oeuvre à la protection et au soutien de l’allaitement maternel : pour les femmes qui souhaitent allaiter et pour qu’elles puissent le faire le temps qu’elles veulent, pour les professionnels et associations qui accompagnent les mères et les enfants.
  • Consultez le Plan d’action européen pour la protection, promotion et soutien de l’allaitement maternel en Europe
    Elaboré et rédigé par les participants du projet: Promotion de l’allaitement maternel en Europe (EU Project Contract N. SPC 2002359), ce document a été présenté lors de la Conférence Européenne sur la Promotion de l’allaitement maternel en Europe le 18 juin 2004 au château de Dublin, Irlande.
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